dimanche 27 septembre 2009

La joie de vivre

-->
Tout cela a commencé par une petite annonce. On demandait des bénévoles pour faire de l’écoute téléphonique au Centre de prévention du suicide (CPS) de Québec.

Quelque temps auparavant, je cherchais une façon de travailler pour une cause. C’était une période « tranquille » de ma vie, je naviguais en eaux calmes et j’avais le goût de partager ce bonheur en donnant un peu de mon expérience de vie. Au CPS, on ne recherche pas des professionnels en relation d’aide. On accueille plutôt des aidants naturels, des personnes bien dans leur peau, qui ont un certain vécu et qui ont le goût d’aider.

On reçoit d’abord une formation, puis on s’installe au téléphone. Les premiers temps ont été plutôt difficiles. Oui, il m’est arrivé de pleurer – sans le démontrer – en écoutant l’histoire de certaines personnes. J’accueillais leur souffrance et elle me touchait profondément. Je me suis rapidement rendu compte que, si je restais au niveau des émotions, je ne serais pas d’une grande utilité. J’ai compris qu’il me fallait être assez sensible pour ressentir la peine et la souffrance de la personne et assez insensible pour être en mesure de l’aider.

À cette époque (milieu des années 80), le CPS était localisé dans une bâtisse de la rue Saint-Jean. Les locaux se trouvaient à l’arrière du dernier étage. On voyait donc toute la basse ville de Québec jusqu’aux Laurentides. Souvent, je regardais la ville en me disant : « C’est à peine croyable, ces histoires se passent dans les maisons que je vois d’ici ». J’en ai entendu de toutes sortes, vous vous en doutez bien. Des femmes battues, des étudiants en détresse, des homosexuels qui ne s’acceptent pas et bien d’autres.

Je crois avoir contribué à sauver des vies. Je me souviens de cet homme qui avait appelé d’une cabine téléphonique. Il parlait normalement au début de l’entretien, puis il devenait de plus en plus confus et incohérent. Je lui demandai s’il avait ingurgité des médicaments et, après qu’il ait répondu par l’affirmative, je contactai le superviseur de garde. Il a pu intervenir à temps pour le sauver, avec l’aide des policiers et des ambulanciers.

Je me souviens également de cette mère qui venait de trouver son fils de 16 ans pendu au bout d’une corde. Pressentant que quelque chose n’allait pas, elle était entrée dans sa chambre... juste à temps. Elle appelait au CPS pour qu’on parle à son fils. Toute une expérience!

N’ayant pas nécessairement l’âme d’un thérapeute, je ne savais trop quoi dire pour désamorcer une crise. Heureusement, la formatrice nous avait enseigné que les bénéficiaires ont d’abord besoin d’être écoutés, ce qui me laissait généralement de 20 à 30 minutes avant d’avoir à intervenir. Là, je levais les yeux au ciel et… « Merci de m’aider à aider cette personne, merci de me faire dire les bonnes paroles pour qu’elle soit réconfortée ». Et combien de fois ais-je renversé une situation désespérée en lumière au bout du tunnel ? Mais je n’étais pas seul…

J’ai fait de l’écoute téléphonique pendant environ quatre années et j’en garde des souvenirs impérissables, les nuits de Noël comptant parmi les plus beaux. Non pas à cause des appels que je recevais car, pour la plupart des suicidaires, cette nuit était une nuit comme une autre. Ils n’en parlaient même pas. Cela concernait plutôt l’état dans lequel je me trouvais.

À l'époque, je vivais seul. Pendant la soirée, je fermais les lumières et j’écoutais de la musique de Noël. Je me souviens de ce fabuleux disque de Mahalia Jackson et de son célèbre Holy Night. Je regardais la neige tomber et j’étais rempli de joie. Minuit venu, il ne me restait qu’à la communiquer…

Il y a deux jours, l’auteure Nelly Arcand s’est suicidée. Je ne connais pas son histoire. Mais je sais qu’il y a plein de gens qui ne demandaient qu’à lui transmettre de la joie…