samedi 29 octobre 2011

« Oui, mais moi… »

L’épreuve que l’on vit est la pire de toutes. Dernièrement, je parlais à une personne au téléphone et je lui racontais ce que j’avais traversé comme tempête. Je livrais également des parcours de gens qui ont «survécu à l’innommable», pour employer les paroles de Pierre-Hughes Boisvenu. Je citais l’histoire de ce dernier dont l’une de ses filles a été violée et tuée par un récidiviste. Deux ans plus tard, son autre fille mourait dans un accident d’auto. Après avoir trouvé un sens à ce qui lui arrivait, M. Boisvenu a fondé une association pour venir en aide aux victimes et aux familles d’agresseurs et il a fait du lobby auprès de politiciens pour faire renforcer les lois. Il est aujourd’hui sénateur.

Et que dire de Patrick Gosselin, le fils du bourreau de Beaumont, qui a subi les sévices de son père dès les premiers jours de sa vie et ce, pendant plusieurs années. Patrick Gosselin termine son livre, Fils de bourreau, en disant que « si moi je réussis à être heureux, tout le monde peut l’être ».

Et la personne à qui je racontais ces histoires de répliquer : «Oui, mais moi c’est pas pareil, les problèmes financiers, ça te gruge à petit feu; j’ai juste envie de mourir». Il comprenait ce que d’autres peuvent vivre comme souffrance, mais la sienne – des problèmes financiers - était de loin plus grande, plus grande que la perte de deux enfants, plus grande que d’avoir subi les sévices d’un père abuseur.

J’entends le même genre de remarques lorsque je donne mes conférences. À la période de question, il n’est pas rare qu’une intervention porte sur le deuil. La personne qui pose la question a très bien reçu mon message et trouve extraordinaire que j’aie fait virer le vent de bord en très peu de temps après que ma vie se soit complètement écroulée. « Oui, mais le deuil… » Comment survivre au décès d’un être que l’on aimait ?

Ma façon d’être et de faire lorsque l’épreuve se présente est très bien, mais apparemment ne s’appliquerait pas au deuil.

Quand je réponds que c’est le même processus, je vois d’abord de l’incrédulité dans les yeux de la personne qui a posé la question. Et je relate ce qui s’est passé dans ma vie à l’été 2006. Après avoir déclaré faillite, la femme que j’aimais m’a signifié qu’elle mettait fin à la relation. Je suis donc parti, laissant derrière moi mon amoureuse et ses trois enfants que j’aimais profondément. Je ne les ai jamais revus et ils n’ont jamais donné de nouvelles, malgré l’invitation que je leur avais faite à cet effet, verbalement et par écrit. D’un seul coup, j’ai perdu quatre êtres qui faisaient partie intrinsèque de ma vie…comme s’ils étaient morts.

Un silence empreint de douceur régnait dans la salle. La personne qui m’avait posé la question a souri et j’ai vu de l'amour dans ses yeux…